Le confinement a obligé environ un quart des salariés à travailler de chez eux. Cela a aussi joué un rôle d’accélérateur dans des entreprises jusque-là réticentes. Le télétravail pourrait-il à l'avenir participer à un nouvel aménagement du territoire ?
Certaines entreprises et institutions envisagent déjà de déplacer leurs sièges. D’autres veulent encourager le télétravail de leurs salariés, voire en faire la norme, comme PSA qui en a fait l’annonce.
Chez un certain nombre d’employeurs, le confinement et la continuité d'activités à domicile ont accéléré les réflexions sur l'avenir du télétravail. Le GART, une association de collectivités locales dédiées aux questions de mobilité, avait déjà, avant la pandémie, expérimenté le télétravail et même créé une antenne à Lyon. Désormais, son secrétaire général, Alexandre Magny, imagine pour l'avenir un changement d’échelle. L'opportunité de se passer de quelques uns des bureaux parisiens - ce qui pourrait représenter environ 50 000 euros par an d'économies. Tout en tirant partie d'une autre répartition géographique des activités.
"Nous avons de nombreux salariés qui viennent de province et aspirent à y retourner. Et cela leur permettrait de se rapprocher des territoires sur lesquels ils travaillent."
Les enjeux écologiques et de mobilité sont, en outre, devenus des arguments majeurs dans la promotion du télétravail. Mais en réalité la question géographique était au cœur du développement du télétravail dès ses débuts rappelle la sociologue Frédérique Letourneux.
"A l'époque où on parlait encore de télématique, on présentait cela comme ce qui pouvait permettre une autonomie géographique intéressante. Alors qu’aujourd’hui on parle plutôt de l’autonomie au travail, c’est vraiment, ce qui fonde cette figure valorisée du télétravailleur heureux, ayant redécouvert une autonomie dans la manière de s'organiser, faire son travail, de conjuguer sa vie professionnelle et personnelle. Or, dans les années 1980, c'était articulé avec une notion géographique. A l’époque, on parlait pas encore de transition écologique, mais le choc pétrolier était passé par là, on commençait à se rendre compte qu'il y avait un problème en termes d'énergie, de déplacements... Il y avait vraiment l'idée d'une possibilité de reconfigurer les spatialités, de réfléchir à une forme d'équité des territoires ou en tout cas, que cela pourrait être un outil de développement des milieux ruraux. Ce qui est intéressant, c'est qu'on voit que les premiers travaux et rapports sur le télétravail, dans les années 80-90, émanaient plutôt de la DATAR, l’ancienne délégation interministérielle à l'aménagement du territoire. Ce n'est que dans les années 2000, finalement, qu'ils ont plutôt été confiés au ministère du Travail. Et aussi que sont apparues les notions d'agilité, de travail nomade. "
Reste que dans les années 90 et 2000 cette évolution géographique attendue n'a pas eu lieu. Du côté des salariés, comme des territoires, la donne a changé. Désormais, la décongestion du trafic, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la redynamisation et l'attractivité du tissu économique local, la modernisation des services, en somme l’aménagement du territoire, font partie des raisons pour lesquelles les collectivités locales s’intéressent au télétravail.
Les conditions qui manquaient hier sont-elles aujourd’hui réunies ? C’est l’analyse de Patrick Levy Waitz, président de la Fondation Travailler autrement. "A l'époque, il y a avait des réticences et des limites, elles sont en partie levées. Et le développement économique va pouvoir aller vers une démétropolisation”, estime-t-il. Il appelle de ses vœux une évolution qui permettra de redévelopper les villes moyennes, autour des métropoles.
"Nous sommes à moment où les conditions peuvent être réunies pour cela. Il y avait un blocage psychologique il est levé. Il faut des infrastructures numériques, or les zones blanches se réduisent. Et les personnes, si elles ne peuvent pas travailler chez elles, doivent avoir la possibilité de le faire ailleurs dans des lieux partagés dit "tiers-lieux". Ces lieux se sont multipliés ces dernières années, par l’effet conjugué des citoyens qui veulent bâtir de nouveaux lieux d’expression et de travail, et la prise de conscience de territoires reculés, qu'ils perdront de la valeur et des habitants si personne ne veut venir chez eux."
Si le confinement a mis en lumière les difficultés à travailler chez soi, le télétravail, c’est avant tout le travail ailleurs que sur le site de l’entreprise. Cela peut donc être dans d’autres lieux comme des bureaux partagés.
Autres temps, autres noms : on ne parle plus de télécentres, comme dans les années 90, mais d’espace de travail partagé ou coworking. Ils font partie de tous ces nouveaux lieux pour “faire ensemble” rassemblés depuis quelques années sous le nom de “tiers-lieux”. On y trouve aussi les fablabs, repair’cafés, fabriques de recherche, friches culturelles. Des espaces qui “ont en commun de réunir plusieurs activités, de participer au développement économique d’un territoire et d’animer une communauté de personnes qui y travaillent et y vivent" résume le programme gouvernemental de soutien “nouveaux lieux nouveaux liens” lancé en 2019 par le Ministère de la cohésion des territoires .
Dans un rapport remis en 2018 au gouvernement, la Fondation Travailler autrement avait repéré environ 1 800 lieux de ce type en France, reposant en général sur des modèles public-privé.
Ces moyens sont d'abord un soutien à ces nouveaux espaces de travail. Beaucoup des espaces existant ont été très fragilisés économiquement par le confinement, alerte l'association nationale des Tiers-lieux.
Il sera intéressant d’observer ces prochains mois dans quelle mesure les intérêts des entreprises et ceux des territoires vont ou non se rencontrer, se renforcer pour favoriser d’autres géographies du travail. Et surtout si cela se fera au bénéfice ou aux détriments des salariés.
Source: franceculture.fr
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